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Frédéric Appy, « Couleurs, Nuances » Ecole d’art, Luminy,
Cours n°3, Avril 2020,
Bonjour à vous,
Nous évoquerons aujourd’hui le livre de Eugène Fromentin « Les Maîtres d’autrefois » et
plus particulièrement la façon dont il parle de Rembrandt (1606 – 1668).
Tout d’abord quelques phrases de Roger de Piles :
« Le talent de Rembrandt n’est pas tourné vers un « beau coloris du naturel » mais il
avait un artifice merveilleux pour l’imitation des objets présents », (1699), (On pourra
retrouvé la même intensité dans un rapport au réel – visible plus tard au XVIIIème
siècle dans certaines œuvres de Chardin.)
« Si ces contours ne sont pas corrects…les traits de son dessein sont plein
d’esprit…Chaque coup de pinceau donnant aux parties du visage un caractère de vie et
de vérité, qui fait admirer celui de son génie. »
« Suprême intelligence du « Clair – Obscur »,
Ses « Carnations » peuvent être rapprochées de celles du Titien… (Roger de Piles, Abrégé
de la vie des peintres, avec des réflexions sur leurs ouvrages, Paris 1699, à lire extrait,
TOUT l’œuvre peint de Rembrandt, Traduction Alain Veinstein, p.11, Collection les
Classiques de l’art, Flammarion, Paris 1971.
Peinture qui semble sombre et lumineuse à la fois, qui demande un effort par les tracés
du clair – obscur, qui dessine également un rapport sensible au réel, à la façon et aux
formes en quelques sortes de la « pensée » en peinture, grâce aux couleurs et à leur
emploi entre le jour, la lumière et la nuit, la pénombre. Le travail, les reprises de ces
estampes sont du même effort.
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Spirituellement, la recherche de la lumière illumine les « âmes », la réflexion, colore les
palettes comme elle suggère des thèmes de travail. Nous avons évoqué les Migrations de
peintres comme Vincent Van Gogh, Rubens, Paul Klee, Gauguin, Matisse, plus
récemment Barcelò… Basquiat également ranime ses origines dans de nombreuses
peintures.
Nous aurons l’occasion de reparler d’Eugène Fromentin ; notons déjà, simplement en
corrélation avec sa pratique et sa réflexion sur la peinture, les descriptions de voyages
en Afrique qu’il fit et notamment les paysages et situations que nous pourrions extraire
de : « Un été dans le Sahara » ou une « Une année dans les Sahel », Œuvres complètes,
Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1984. On peut découvrir des tableaux orientalistes de
Fromentin au Musée d’Orsay, Paris.
On pourra se référer par ailleurs, extrait d’un article du journal « Le Monde »,
supplément vendredi 21 novembre 2003, consacré au rapport entre les voyageurs, le
monde l’art , - « Aventuriers du Monde » , Les grands explorateurs français au temps des
premiers photographes, 1866-1914 , Ed. L’iconoclaste 2003, mais aussi Explorateurs
photographes – Territoires inconnus, 1850-1930, Ed. La Découverte, 2003,
Fromentin nous a habitué à un travail d’exploration méticuleux sous forme explicite
d’un reportage mêlant les descriptions de tableaux à l’analyse plus précise des éléments
qui fondent la peinture, couleur, dessin. Son étude qui met l’accent sur le rôle primordial
de la couleur est consacrée à la peinture dans les musées belges et hollandais.
Ce livre est riche, très clair et discutable à souhait. Le morceau de bravoure en est la
critique du célèbre tableau de Rembrandt, La Ronde de nuit. 1642, Rijkmuseum
Amsterdam.
L’auteur y précise quelques approches de la couleur, celle du coloriste par exemple :
« Enfin – et c’est là le trait à bien retenir dans cette définition plus que sommaire – un
coloriste proprement dit est un peintre qui sait conserver aux couleurs de sa gamme
quelle qu’elle soit, riche ou non, rompue ou non, compliquée ou réduite, leur principe,
leur propriété, leur résonnance et leur justesse, et cela partout et toujours, dans
l’ombre, dans la demi-teinte et jusque dans la lumière la plus vive. C’est par là surtout
que les écoles et les hommes se distinguent. Prenez une peinture anonyme, examinez
quelle est la qualité du ton local, ce qu’il devient dans la lumière, s’il persiste dans la
demi-teinte, s’il persiste dans l’ombre la plus intense, et vous pourrez dire avec certitude
si cette peinture est ou n’est pas l’œuvre d’un coloriste, à qu’elle époque, à quel pays, à
quelle école elle appartient. » Le cheminement de la lumière et de ses teintes est étudié
au long d’une œuvre, ce fil tenu du temps et de l’espace en peinture, comme preuve d’un
travail de coloriste.
A cette définition du coloriste, Eugène Fromentin oppose la volonté que Rembrandt a
d’illuminer ses personnages : « La lumière en soi n’est rien : elle est le résultat de
couleurs diversement éclairées et diversement rayonnantes d’après la nature du rayon
qu’elles renvoient ou qu’elles absorbent. Telle teinte très foncée peut être
extraordinairement lumineuse ; telle autre très claire peut au contraire ne l’être pas du
tout. ».
L’auteur formule aussi une distinction entre la lumière et une « pensée » des couleurs,
leur affect. Une « pensée » possible des couleurs serait donc praticable en peinture, on
peut y trouver une formulation qui définit certaines formes de la peinture elle même :
« L’art de peindre n’est que l’art d’exprimer l’invisible par le visible ; petites ou grandes,
ses voies sont semées de problèmes qu’il est permis de sonder pour soi comme des
vérités, mais qu’il est bon de laisser dans leur nuit comme des mystères. » La
formulation de cette idée de l’art entre dire et silence, nous pouvons la remarquer dans
l’art de Rembrandt.
On trouve dans l’ouvrage de Fromentin un plaisir certain de la lecture qui me semble
parfois renforcé par la « description » précise des toiles, sortes d’Ekphrasis,
descriptions détaillées, peintures faites écritures, discours, cheminements d’une teinte à
l’autre. Il peut être intéressant de relever la fréquence dans un discours critique sur la
peinture, des adjectifs et des éléments qualifiants la couleur, en un mot les descriptions
de couleurs.
Comment ne pas s’étonner à propos de l’œuvre peinte de Rembrandt qu’elle fut qualifiée
tout à la fois d’extrême savoir d’un coloriste au travail et dans le même ouvrage, Les
Maîtres d’autrefois, de Eugène Fromentin du terme presque barbare de « luminariste »,
ainsi : « Un Luminariste, si je ne me trompe, un homme qui concevrait la lumière en
dehors des lois suivies, y attacherait un sens extraordinaire, et lui ferait de grands
sacrifices. Si tel est le sens du néologisme, Rembrandt est à la fois défini et jugé. Car sous
la forme déplaisante, le mot exprime une idée difficile à rendre, une idée vraie, un rare
éloge et une critique. »
Le thème avoué n’est autre que celui-ci : « éclairer une scène vraie par une lumière qui
ne le fût pas, c’est – à – dire donner à un fait le caractère idéal d’une vision. » Nous
retrouvons ici l’irréalisme et l’idéalisme de l’art et de ses recherches. Souvenons nous
également ce qu’André Malraux écrit dans son essai intitulé L’irréel (Paris , Gallimard ,
1978, p.187) pour nous démontrer le travail de la couleur en peinture à propos de la
gravure : « Le burin, l’eau-forte surtout, lorsqu’ils traduisent les tableaux (et surtout
lorsqu’il les traduisent pour la première fois) rendent l’amateur très sensible à ce qu’ils
n’en traduisent ; la puissance d’expression du noir-et-blanc « qui n’est pas dans la
nature » suggère celle des relations de couleurs qui n’y sont pas non plus. ».
On pensera aux remarques de Marcel Proust concernant la puissance évocatrice de la
lecture, préface à la traduction de l’anglais de Sésame et les Lys, de John Ruskin, Ed.
Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2011 ; ainsi que l’origine de ses découvertes
artistiques reproduites à la façon des gravures qu’il relate dans A la recherche du temps
perdu. On peut également citer Hubert Damisch, Le Jugement de Pâris, Collection Champs
arts, 2011, notamment à propos de cette estampe sur une idée dessinée par Raphaël
pour son élève Marc Antoine, p.111 et suivantes. On parle alors non pas d’une
reproduction mais de traduction.
Nous rapprocherons la citation des propos de Paul Valéry, Pièces sur l’Art, Œuvres, tome
II, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1988, p 1316 : « Mais comment le blanc et le noir
vont parfois plus avant dans l’âme que la peinture, et comment, ne prenant au jour que
ses différences de clarté, un ouvrage réduit à la lumière et aux ombres nous touche, nous
rend pensifs, plus profondément que ne fait tout le registre des couleurs, je ne sais trop
me l’expliquer. Telle pourrait être énoncé une partie de notre recherche sur les rapports
entre la couleur et ses écritures, ses dénominations (Cf. pour plus ample développement
Thèse d’état, Iris, Couleur écrite, couleur décrite, sous la direction de Michel Launay, Ed.
universitaire, Lille , 1991) .
Mais revenons à notre peintre, Rembrandt, une fois encore selon les écrits d’Eugène
Fromentin : « Tout envelopper, tout immerger dans un bain d’ombre, y plonger la
lumière elle même, sauf à l’en extraire après pour la faire paraître plus lointaine, plus
rayonnante, faire tourner les ondes obscures autour des centres éclairés, les nuancer, les
creuser, les épaissir, rendre néanmoins l’obscurité facile à percer, donner enfin même
aux couleurs les plus fortes une sorte de perméabilité qui les empêche d’être le noir,
telle est la condition première, telles sont aussi les difficultés de cet art spécial.
« Il va sans dire, que si quelqu’un y excella ce fut Rembrandt. Il n’inventa, il perfectionna
tout, et la méthode dont il se servit plus souvent et mieux que personne porte son nom.
Les conséquences de cette manière de voir, de sentir et de rendre les choses de la vie
réelle, on les devine. La vie n’a plus la même apparence. Les bords s’atténuent ou
s’effacent, les couleurs se volatilisent. »
« Le modelé, qui n’est plus emprisonné par un contour rigide, devient plus incertain dans
son trait, plus ondoyant dans ses surfaces, et quand il est traité par une main savante et
émue, il est le plus vivant et le plus réel de tous, parce qu’il contient mille artifices grâce
auxquels il vit, pour ainsi dire, d’une vie double, celle qu’il tient de la nature et celle qui
lui vient d’une émotion communiquée. En résumé, il y a une manière de creuser la toile,
d’éloigner, de rapprocher, de dissimuler, de mettre en évidence et de noyer la vérité
dans l’imaginaire qui est l’art, et nominativement l’art du clair-obscur. »
Le lecteur comprendra aisément l’importance de ce texte. Les couleurs sont les preuves
d’une lumière scientifique ou morale, les signes à organiser pour une approche plastique
et mentale du monde.
Nous retrouvons cette réflexion dans les œuvres de nombreux peintres et plasticiens
modernes, (Marc Rothko nous revient à l’esprit… Lucian Freud entre autres)
A propos de la peinture Hollandaise on peut penser à l’Art de dépeindre (Gallimard,
1990) de Svetlana Alpers, notamment sur les natures silencieuses.
J’aurais peut – être l’occasion d’évoquer les lectures du texte de Fromentin que Vincent
Van Gogh à découvert ainsi que l’art du nocturne entres autres ou Meyer Schapiro dans
Style, artiste et société, Paris, Gallimard, Collection Tel, 1990,
Je vous souhaite une bonne lecture…
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